Les Douanes sont incontestablement avec les Impôts les grands pourvoyeurs de recettes en Guinée. Les « soldats de l’économie guinéenne » sont depuis le 5 septembre 2021 dans une nouvelle dynamique : celle d’œuvrer à la poursuite des réformes entreprises au paravent et d’implémenter de nouvelles stratégies visant à consolider l’institution douanière. Placées sous le leadership du Directeur général, le Colonel Moussa Camara, les Douanes guinéennes misent plus que jamais sur la formation continue, l’informatisation des services, la sensibilisation et la mise en confiance des opérateurs économiques pour participer à la refondation de l’Etat prônée par le CNRD.
A l’avènement du CNRD, vous avez bénéficié de la confiance du Chef de l’Etat pour diriger les Douanes guinéennes. Dites-nous dans quel état les avez-vous trouvées ?
Colonel Moussa Camara : Je commencerai par réitérer toute ma reconnaissance à Monsieur le Président de la République pour la confiance placée en ma modeste personne pour diriger l’administration des douanes. A notre arrivée à la tête de l’administration des douanes, nous avons trouvé une administration sur le chemin des reformes et de la modernisation. Beaucoup de bureaux des douanes étaient déjà informatisés. Le personnel douanier était formé. Beaucoup de nos collègues ont eu le mérite de poursuivre des études dans des centres de formation douanière au Maroc et dans l’école des douanes en France, qui sont à la tête de grandes entités au sein de la douane. Aussi j’ai trouvé une administration où un bon nombre de cadres ont fait valoir leurs droits à la retraite, laissant la chance aux jeunes de faire preuve de compétence, de faire valoir leurs mérites. Voilà rapidement dans quelle situation nous avons trouvé notre administration des douanes avec des projections de recettes au-delà de 12 000 milliards GNF. En fin d’année nous nous sommes retrouvés avec une réalisation d’un peu plus de 10 000 milliards de francs guinéens.
Depuis votre arrivée quelles sont les innovations et les réformes entreprises par la nouvelle équipe ?
Notre arrivée a coïncidé avec le départ à la retraite d’un certain nombre de cadres. Comme nous le savons, dans toute administration, à part les directions techniques, où le temps apporte beaucoup d’expériences, il y a certains postes très sensibles qui méritent que le douanier en place ne dure pas pour bannir certaines habitudes et donner l’occasion à la jeunesse de faire ses preuves. Donc à notre arrivée, nous nous sommes attelés, avec le soutien des autorités, à faire un mouvement très important du personnel. Il y a certains qui avaient fait plus de dix ans à l’intérieur du pays et qui avaient des compétences et de l’expérience. Cela a été l’occasion pour ces cadres de revenir à Conakry et vice versa.
En plus du mouvement du personnel, en collaboration avec la nouvelle équipe constituée, nous avons procédé à beaucoup d’innovations. L’une des innovations a été la généralisation du paiement en ligne. C’est dire que, à mon arrivée il y avait peu de sociétés qui avaient été sélectionnées pour la phase pilote qui procédait au paiement des taxes en ligne. On a généralisé à l’ensemble des bureaux de Conakry et à l’ensemble des opérateurs économiques de sorte qu’aujourd’hui, il n’y a pas de paiement au niveau de la douane, ni par chèque, ni par virement. Tout se fait en ligne. Depuis son bureau, l’opérateur économique ou le Transitaire donne l’ordre de paiement à sa banque en ligne par le moyen informatique, et le paiement aussi est fait automatiquement sur le compte du receveur domicilié à la Banque centrale, sur le compte du Trésor. En plus, nous avons procédé à l’informatisation de quatre bureaux importants à l’intérieur du pays, à N’Zérékoré, Boké, Boffa et dans la région de Kindia en direction de la Sierra Leone (le pont de Moribaya). Ce sont c’est des bureaux importants à l’intérieur du pays qui ont été totalement automatisés, équipés, le personnel formé, et les équipements qui sont sur place sont connectés au serveur central à Conakry. Les opérations qui s’y passent sont vues à la seconde par l’inspection. Une activité que nous avons réalisée, est la publication de la revue des douanes. Cette revue a été finalisée et diffusée. Ensuite on a réussi à interconnecter le système informatique douanier avec le système informatique de délivrance des numéros d’immatriculation des cartes grises domiciliées au CADAC. Ensuite, en plus de cette opération on a encore amélioré des fonctionnalités au niveau des contrôles, on a mis sur les documents des codes-barres qui permettent de contrôler l’authenticité des documents et puis la plus récente est le barème des valeurs des véhicules d‘occasion ; depuis près de dix ans, ce barème n’avait pas évolué alors que l’environnement a évolué, la nomenclature douanière a évolué, donc on a revu cela en collaboration avec nos partenaires et depuis quelques jours ce nouveau barème est diffusé et va dans le sens d’améliorer les recettes collectées au bénéfice de l’Etat.
Il y aussi l’opérationnalisation du Port Autonome de Conakry 24h/24, 7j/7, qui était une recommandation de la plus haute autorité. Avant cela, il nous avait mandaté d’aller échanger avec nos homologues maliens pour voir comment faciliter le passage des marchandises maliennes par le port de Guinée et dans les deux sens à l’import comme à l’export. Donc des dispositions concrètes ont été prises, et je peux affirmer aujourd’hui que de part et d’autre c’est un succès, Il y a du volume qui passe par le port de Conakry et les autres ports guinéens à destination du Mali, du coton malien en grand volume, des dizaines et des dizaines de camion-remorques déposent du coton à destination de l’extérieur. Et puis, le fait de rendre le port opérationnel 24h/24 permet de drainer plus de volumes
Peut-on avoir des indicateurs sur l’état actuel des recettes par rapport aux objectifs assignés ? Pouvez-vous nous faire un parallèle avec les années antérieures ?
Je dirai que pour l’année 2022 nos prévisions de recettes sont exactement de GNF 12 975 milliards, contrairement à l’an 2021 où les prévisions étaient de GNF 12 040 milliards. Les réalisations en 2021 étaient autour de GNF 10 000 milliards. Nous devons réaliser pour 2022, environ GNF 13.000 milliards. Alors par rapport aux prévisions projetées, normalement nous devrions faire un minimum de GNF 1 000 milliards chaque mois pour approcher de très près les prévisions. Certaines contraintes liées aux difficultés du commerce extérieur nous ont un peu empêchées d’atteindre ces prévisions. Mais on s’en approche. Et de janvier à maintenant on a fait en moyenne par mois 800 milliards de francs guinéens alors qu’on s’attendait à 1 000 milliards de francs guinéens. Donc il y a un manque à gagner d’environ 200 milliards de francs guinéens par mois. Ces manques s’expliquent et se justifient. D’abord cela est lié aux subventions que l’état a accordées aux produits pétroliers qui génèrent un manque à gagner très important. Aussi pour soutenir le panier de la ménagère, les autorités ont décidé de subventionner grandement et largement les produits de première nécessité, les produits alimentaires tels que le riz, la farine etc. Sur le riz normalement, qui devrait être pris autour de 400 dollars la tonne, aujourd’hui, conformément à l’orientation et aux instructions des hautes autorités, la tonne est prise à 100 dollars. Imaginez le manque à gagner et le sucre aussi, la tonne était autour de 365 dollars. Là aussi, il y a eu une forte diminution pour la ramener à 200 dollars la tonne. Mais avec des mesures que nous sommes en train de prendre, on a grand espoir que la situation des recettes va s’améliorer. La dernière mesure, c’est celle que je venais de citer relative à l’accroissement de l’assiette pour les véhicules d’occasion. Et il y a d’autres mesures que je ne veux pas annoncer maintenant. Nous sommes en équipe, en train de travailler, pour réfléchir à des solutions allant dans le sens d’améliorer les recettes.
En faisant une comparaison avec l’année dernière, nous nous sommes aperçus que sur le volume importé sur les quatre mois, il y a plus de 6 000 containers en moins. Un peu plus de 1 000 containers en moins par mois. Si nous prenons volume pour volume, on constate qu’en 2022, il y a eu beaucoup plus d’efforts. C’est dire que le pourcentage de réalisation par rapport aux prévisions est élevé par rapport au manque que nous constatons côté volume. Nous avons échangé avec les opérateurs économiques et nous sommes en train de les sensibiliser, les rassurer. L’une des mesures fortes aussi est l’équité fiscale. A notre arrivée, seuls certains opérateurs économiques bénéficiaient de certaines faveurs. Donc la haute autorité a dit que tout le monde doit être traité de la même façon et qu’il faut restaurer l’équité fiscale. C’est ce que nous avons eu à faire. Cela rassure les opérateurs. Pour preuve, de nouvelles usines s’installent.
Quelles sont vos perspectives ?
En équipe nous avons renouvelé le comité de réforme et de modernisation de l’administration des douanes. Nous avons élaboré des plans d’action pour l’année en cours. Avec l’accord de l’autorité nous voulons renforcer la capacité du personnel douanier. Il est vrai que les années passées, on a connu la participation de nos collègues a des formations à l’extérieur du pays. Cela va se poursuivre et on voudrait que le nombre connaisse un accroissement. En plus de cela, il y’a un point important. Nous avons un partenaire sur place qu’est le Guichet Unique, issu d’un partenariat public-privé. Il est un partenaire fort qui nous aide dans la modernisation et la facilitation des opérations du commerce extérieur. Cette année, on voudrait que le transfert de compétences entre cette structure qui est en contrat avec la Guinée pour cinq ans démarre réellement, et que des informaticiens douaniers partent à l’extérieur dans les centres de cette structure et apprennent comment développer, comment améliorer.
A part le volet formation, nous pensons aussi à la formation militaire des jeunes qui n’ont pas eu la chance de bénéficier de cette formation. Ce projet est aussi dans le tuyau. Nous ne cesserons jamais de sensibiliser le personnel douanier pour renforcer la lutte contre la fraude. J’ai manqué de signaler un acquis. Nous n’aimons pas faire trop de publicités sur ce que nous faisons. Mais les brigades de douanes sont devenues très efficaces. Il y’a eu beaucoup de saisies dans toutes les régions.
Donc c’est un levier fort sur lequel nous comptons nous appuyer pour que toutes les marchandises qui entrent sur le territoire guinéen passent par la voie légale et soit correctement dédouanées, et les recettes versées dans les caisses de l’Etat. L’autre volet, c’est la poursuite de la numérisation de la procédure. Avant la fin de l’année nous voudrions avec l’autorisation de nos responsables, que le paiement des droits de douanes et d’autres redevances puissent se faire au moyen de Mobile Money. C’est un dossier sur lequel on a fait beaucoup de progrès. On est en train de faire des textes, c’est dire qu’au lieu de passer forcement par des banques pour payer, c’est un moyen fiable et une facilité supplémentaire que nous voudrons mettre à la disposition de nos partenaires.de nuit comme de jour. Quant à nos partenaires, on compte leur offrir des accès aussi directement aux statistiques douanières. Il y a le Conseil Guinéen des Chargeurs aussi qui a son système interconnecté avec le système informatique douanier SYDONIA. Dans les jours à venir, cela va être un document joint obligatoire pour les décorations en détail.
En perspective pour l’année en cours, on est à la fin de notre plan stratégique. On avait un plan stratégique qui s’étendait sur 5 ans. Nous sommes sur la dernière année. Alors avant la fin de l’année en cours, nous allons projeter un autre plan stratégique pour un minimum de 3 ans. Chaque plan stratégique sera décliné en plan d’action annuel. Pour 2023, nous allons sortir en collaboration bien sûr avec toute mon équipe un plan stratégique sur 3 ans, structuré en plans annuels. Le plan annuel de 2023 sera dans un document élaboré, partagé, digéré et on va s’atteler à réaliser toutes les actions qui seront programmées dans ce plan.
SOURCE : MAGAZINE DE LA PRESIDENCE